De ses doigts délicats, il attrape la dernière pièce. Il la regarde intensément, la fait pivoter à droite, puis à gauche. Et il finit par la poser, juste à sa place, au milieu du puzzle. Vous avez envie d’applaudir, de le féliciter, de lui dire combien vous êtes impressionné(e) qu’il ait terminé cet exploit tout seul.
Et la plupart du temps, c’est ce que vous allez faire. Et moi le premier. En tant que parent, c’est toujours gratifiant de se dire que notre rejeton a “bien” fait les choses. Quand ma fille de 18 mois a jeté son dévolu sur les puzzles au moment du premier confinement, je passais mon temps à l’applaudir et à la féliciter.
Existe-t-il une autre manière de faire ?
En me replongeant dans deux des ouvrages que j’avais lus pendant la grossesse de ma femme, je (re)découvris une vérité qui ne tarda pas à me glacer le sang : à trop féliciter on risque d’enfermer l’enfant dans un système de carotte et de bâton où la source de toute motivation doit se trouver à l’extérieur. Pour son propre développement, il peut donc être utile de remplacer de temps en temps un “bravo” par une question ou un encouragement.
Féliciter trop souvent peut nuire au développement de l’enfant
Initié par la célèbre Maria Montessori, et repris par nombre de pédiatres et praticiens de la petite enfance, le mouvement de la pédagogie positive nous encourage à mieux comprendre le développement de l’enfant, d’un point de vue tant psychique que biologique.
D’ailleurs, on ne saurait que trop vous encourager à vous plonger dans “Les lois naturelles de l’enfant”, de Céline Alvarez, et “Pour une enfance heureuse” du Dr Catherine Gueguen.
En l’occurrence, il s’agit de voir qu’il y a une différence structurelle entre “complimenter” et “encourager”, et que cela se joue au niveau de la construction de la motivation de l’enfant.
Lorsqu’on le félicite pour quelque chose qu’il a fait, certes on l’aide à avoir une bonne image de lui, mais dans le même temps, on prend le risque de lui faire passer le message suivant : il faut que tu aies le comportement X ou Y pour obtenir un bravo, faire plaisir à maman, avoir droit à telle ou telle récompense.
Quand on procède de cette façon, l’enfant met le cap sur un élément extérieur (la récompense), et non plus sur l’intérêt ou le plaisir qu’il ressent à l’idée d’adopter le comportement souhaité.
Si, au lieu de le féliciter ou de lui promettre une récompense, on insiste sur ce qu’il a ressenti en le faisant, et sur la sensation de fierté qui peut en découler, alors on le connecte à sa vraie motivation (à sa motivation intérieure).
Au lieu de dire “bravo”, il est parfois préférable d’interroger : es-tu content(e) ? As-tu envie de faire un autre puzzle maintenant ? Comment c’était ?
C’est un changement d’état d’esprit. Quand on complimente, on est dans un état d’esprit fixe. Quand on encourage, on invite à progresser, c’est un état d’esprit de développement.
L’expérience de Carol Dweck
La célèbre psychologue américaine Carole Dweck a fait une petite expérience qui illustre cette distinction, avec une classe d’enfants de 10 ans. Vous pouvez en lire sa synthèse dans son article “The Secret to Raising Smart Kids” paru dans la revue Scientific American (https://www.scientificamerican.com/article/the-secret-to-raising-smart-kids1/).
1ère partie : un test de logique
L’idée de l’expérience est la suivante : tous les enfants ont passé un premier test de logique, à l’issue duquel les examinateurs ont commis l’horrible affront de mentir à toute la classe. Ils ont dit : vous avez eu des résultats excellents (il y a pire comme mensonge).
Mais à une partie de la classe ils ont ajouté : “vous devez être très intelligents”, tandis que l’autre groupe d’écoliers s’est entendu dire “vous avez dû travailler dur”.
C’est tout, c’est la seule différence entre les deux groupes, qu’on appellera d’un côté le groupe “Intelligents” et de l’autre le groupe “Efforts” pour la suite de l’explication.
2e partie de l’expérience
Ensuite on propose aux enfants le choix entre un nouveau test plus facile, ou un nouveau test plus difficile que le premier.
Dans le groupe Intelligents, une majorité d’enfants a choisi le plus facile, de sorte de réduire les risques de perdre l’étiquette d’enfant intelligent qu’on venait de leur coller sur le front.
Dans le groupe Efforts, ils sont près de 92% à avoir choisi le test le plus difficile, puisque ce qui avait été valorisé était en fait leur aptitude à surmonter des challenges.
3e partie : un test vraiment très difficile
On a alors proposé aux enfants le défi de résoudre un test vraiment difficile, d’un niveau très élevé pour des têtes blondes d’une dizaine d’années.
Les enfants du groupe Intelligents ont abandonné au bout de 5 min. Ceux du groupe Efforts se sont accrochés et ont même trouver des solutions créatives inattendues.
Dernière partie
Enfin, les examinateurs ont donné un dernier test aux enfants, d’un niveau de difficulté semblable au tout premier.
Dans le groupe Intelligents leurs résultats furent inférieurs de 20% à leurs premiers résultats. Dans le groupe Efforts ils s’améliorèrent de 30%.
Il y a donc eu un écart de 50% (-20 ; +30) sur la simple phrase “vous devez être très intelligents” ou “vous avez dû travailler dur”.
Si l’écart est tel, c’est que l’attitude qu’on a face aux résultats des enfants est déterminante. Dans l’expérience, cette attitude a joué un grand rôle pour entretenir, développer, ou au contraire limiter la motivation des enfants.
Conclusion
La prochaine fois que vous en aurez l’occasion, au lieu de dire bravo, demandez-vous ce que vous pourriez dire qui encourage votre enfant à se connecter à sa motivation intérieure, son plaisir, son goût de l’effort.
Bien évidemment, il ne s’agit pas de le faire systématiquement. Le fait de féliciter porte aussi en lui le germe de la construction d’une bonne image de soi. Comme bien souvent, tout est question de mesure et d’équilibre !
D’ailleurs, il va falloir que je vous laisse, ma petite Héloïse (qui a désormais 2 ans et demi) galère un peu sur le puzzle 1.000 pièces d’Harry Potter qu’elle m’a réclamé après avoir lu les 3 premiers tomes de la série.
Non je plaisante. Elle n’a pas encore fini le 3e tome 😉
Pour aller plus loin
- Céline Alvarez, Les lois naturelles de l’enfant, ARENES EDITION, 2016
- Catherine Gueguen, Pour une enfance heureuse, ed. Pocket, 2015
- Le TED de Carol Dweck
- Un article sur ce sujet